Entretien avec Élise MAILLOT, fille du Capitaine Paul MAILLOT, emprisonné à MADAGASCAR

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Voilà maintenant un an et demi que nos deux camarades, le Colonel Philippe François et le Capitaine Paul Maillot, sont emprisonnés à Madagascar à l’issue d’un procès inique.
Place d’Armes a eu l’occasion de prendre contact avec les familles et comité de soutien depuis fin juillet dernier et a d’ailleurs été mis en place une cagnotte pour soutenir les familles :
Cagnotte en soutien au Colonel FRANÇOIS et au Capitaine MAILLOT
A l’approche des fêtes de fin d’année, ils nous apparait opportun de vous informer de la situation de ces deux prisonniers.
C’est pourquoi fin novembre dernier, nous nous sommes entretenus  avec Elise Maillot, fille du Capitaine Paul Maillot.

Place d’Armes IDF (PA IDF) : Pouvez-vous vous présenter ?
Elise Maillot (EM) : Je m’appelle Elise MAILLOT. Je suis avocate mais n’exerce plus la profession depuis quelques années. Je me suis reconvertie et suis aujourd’hui directrice des relations publiques et du marketing dans une startup de la legaltech. Je suis la fille aînée du Capitaine Paul Maillot, emprisonné depuis maintenant un an et demi à Madagascar dans le cadre de l’affaire dite “Apollo 21”.
Mon père a également deux autres enfants, plus jeunes que moi. J’ai pris la tête du combat à mener pour obtenir sa libération.

PA IDF : Comment avez-vous appris l’arrestation ?
EM : Je l’ai apprise le 21 juillet 2021. C’est un ami journaliste, vivant à Madagascar, qui m’a écrit la nuit pour m’informer que mon père avait été arrêté. L’information m’a tout de suite parue sérieuse : je savais que mon père était exposé, dans la mesure où il dénonçait les pratiques mafieuses ayant cours à Madagascar depuis des années.
Je ne pensais pas pour autant qu’il allait être victime d’une machination de cette ampleur, ourdie par la mafia, et qu’il serait condamné quelques mois plus tard à 20 ans de travaux forcés pour un crime qu’il n’a jamais commis.

PA IDF : J’imagine que les événements se sont précipités…
EM :
 J’ai tout de suite contacté les autorités diplomatiques françaises à Madagascar qui m’ont confirmé qu’elles étaient bien au courant de la situation et qu’elles cherchaient à en savoir davantage.
Le lendemain, j’ai appris que les charges qui pesaient sur mon père, sur Philippe François et d’autres étaient très graves puisqu’il s’agissait ni plus ni moins d’une soi-disant atteinte à la sûreté de l’Etat.
Les premières rumeurs qui circulaient alors faisaient état de tentative de coup d’Etat, de tentative d’assassinat du président malgache Andry Rajoelina, etc…

PA IDF : Comment avez-vous réagi ? Cela vous a-t-il paru plausible ?
EM :
 Je suis très proche de mon père, avec lequel j’avais des échanges quasi quotidiens et j’ai toujours suivi de très près ses activités en France et à Madagascar. Si je le savais exposé, je n’ai jamais douté de son innocence. Très rapidement, le scénario que je pressentais a été confirmé par plusieurs sources et la suite de l’affaire (procès non-équitable, preuves inventées, etc.) a confirmé aux yeux de tous la machination dont mon père et les autres ont été victimes.

PA IDF : Quelles activités y exerçait-il ? Quel est son parcours ?
EM :
 Si mon père est bi-national, je souhaite rappeler qu’il a grandi en France et qu’il a étudié en France, en particulier à St-Cyr, avant de mener une carrière professionnelle en tant que gendarme puis dans le secteur privé. 
Souhaitant renouer avec son pays d’origine, il a décidé de s’y installer il y a quelques années.
Depuis qu’il est à Madagascar, il a contribué à différents projets, à la fois dans la sphère privée et publique. Il s’est également investi en politique puisqu’il a été, dans un premier temps, conseiller diplomatique du président malgache et, dans un deuxième temps, après avoir démissionné de ses fonctions, il a notamment été conseiller diplomatique de l’archevêque Monseigneur Odon. Il l’était d’ailleurs toujours au moment de son arrestation.
Parallèlement à cette activité politique, et plus récemment, il avait créé un fonds d’investissement avec Philippe François, après avoir été présentés l’un à l’autre via une personne travaillant à l’ambassade de France.

PA IDF : Le régime de Madagascar est malheureusement réputé pour sa corruption. Pensez-vous qu’il puisse y avoir un lien avec cette situation et cette affaire ?
EM :
L’entourage du président est gangrené par la mafia malgache et c’est la raison principale pour laquelle mon père avait démissionné de ses fonctions de conseiller diplomatique du président malgache, en 2011. Vous pouvez d’ailleurs retrouver l’intégralité de l’interview que mon père a donné à la presse à l’occasion de sa démission en cliquant ici. Il n’y a pas un mot à changer, le contexte politique est malheureusement toujours le même plus de dix ans après.
Mon père faisait partie des rares personnes qui, à Madagascar, n’ont pas peur de dénoncer sans détour les pratiques de corruption.
A mon sens, le projet d’investir le secteur aurifère par le biais du fonds d’investissement créé avec Philippe François a été la goutte d’eau : la mafia malgache n’a pas supporté qu’on marche sur ses plates-bandes et a mis en place un plan visant à neutraliser mon père et les autres. 
Au-delà des intérêts immédiats de la mafia, je pense aussi que cela arrangeait les autorités malgaches qui pouvaient alors utiliser ce dossier dans le cadre de leurs relations diplomatiques tendues avec la France (en particulier car il s’agit d’anciens militaires français). 

PA IDF : Votre père était il confiant malgré vos craintes ?
EM :
 A mon sens, mon père avait conscience du fait qu’il évoluait dans une zone à risques. Il savait qu’en touchant la politique et le secteur aurifère, compte tenu de la corruption ambiante et de la puissance des groupes mafieux à Madagascar, il prenait des risques.
Mais mon père est un vrai idéaliste, à la fois utopiste et optimiste. Il a la force de ses convictions, de ses combats, qui l’a poussé à continuer dans la voie dans laquelle il s’était engagé, en dépit des risques. 

PA IDF : Comment s’est déroulé le procès ?
EM :
 Ubuesque. Une tartufferie, comme cela était à craindre : preuves falsifiées, absence de débat contradictoire, violation permanente de la présomption d’innocence, chefs d’accusation fantaisistes, etc…
Les droits les plus fondamentaux de la défense n’ont pas été respectés. Les avocats peinaient à accéder à mon père, que ce soit pendant ses 15 jours de garde à vue, puis dans la prison au cours de l’instruction et même après. Leurs échanges étaient enregistrés, filmés et ne duraient jamais plus de 15 minutes.
A l’issue de ce procès, un certain nombre de personnes ont été innocentées mais tous les français impliqués dans l’affaire (à l’exception de la femme de Philippe François, qui présente un cas un peu particulier) ont été condamnés, ainsi qu’un malgache (l’associé de mon père et de Philippe). 
Si la peine de mort était théoriquement encourue, les peines finalement prononcées sont de la prison ferme : 5 ans pour l’épouse de mon père, 10 ans pour Philippe François et leur associé malgache, 20 ans pour mon père.
Ce fut un vrai coup de massue mais un coup de massue prévisible au regard du caractère éminemment politique de l’affaire.

PA IDF : A-t-il été difficile de trouver un avocat local ?
EM :
 Très compliqué : il a été difficile de trouver des avocats à la fois compétents, sérieux, puis il a été difficile de communiquer avec eux. Leur façon de travailler est très différente de celle des avocats en France mais, malgré tout, j’ai pu trouver des avocats qui ont eu à cœur d’assurer la défense de mon père et en qui j’avais confiance techniquement. 
J’ai également dû gérer des situations assez étonnantes  : certains avocats se sont auto-constitués défenseurs de mon père. Ils prenaient donc la parole sans qu’on leur ait demandé quoique ce soit, ce qui a contribué à brouiller les messages.

PA IDF : est-ce que dès le début les autorités françaises se sont manifestés ou ont-elles attendues les conclusions du procès pour agir ?
EM :
 Le principe retenu dans ce genre de situation par les autorités françaises est le respect de la souveraineté locale, la non-ingérence (en particulier dans une ancienne colonie comme Madagascar), tout en assurant (du moins théoriquement) la protection consulaire du détenu (accès aux soins, à de la nourriture, etc.), dans l’attente du procès.
La réalité est malheureusement tout autre : la protection consulaire a été totalement défaillante et l’intégralité des besoins de mon père (accès aux avocats, à de la nourriture, etc.) a exclusivement reposé sur moi. J’ai été aidée en ce sens par de la famille, sur place, ainsi que par les avocats eux-mêmes, même s’il a été extrêmement complexe de mettre en place des canaux fiables d’approvisionnement. 
La protection consulaire se résumait à 1 visite tous les deux mois, pour s’assurer globalement qu’ils n’étaient pas morts. Le personnel consulaire n’a jamais rien pu apporter en terme de nourriture par exemple, on a même refusé de transmettre des courriers que je souhaitais faire parvenir à mon père. 
J’ai très rapidement compris, également, que le dossier était très sensible pour la France et pas suffisamment “sexy” pour que les autorités réclament immédiatement la libération de mon père et des autres (comme ce qu’on peut voir dans d’autres dossiers).

PA IDF : Et puis ?
EM :
 Une fois que la condamnation a été  définitive le 26 août 2022, à l’issue du pourvoi en cassation que nous avions formé (il n’existe pas d’appel à Madagascar…), la gestion du dossier a été drastiquement différente.  
Les familles sont désormais en relation avec le CDCS (centre de crise et de soutien) qui dépend du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. Les équipes de ce centre sont bien plus diligentes et bien plus empathiques, malgré les limites de leurs pouvoirs. Par ailleurs, les visites consulaires sur place sont plus fréquentes. 
Pour le reste, le dossier est suivi au plus haut niveau des autorités françaises : il s’agit d’une affaire politique, traitée par le politique et, en tant que famille, je ne suis naturellement pas associée aux négociations qui ont cours dans ce cadre.

PA IDF : Depuis la condamnation définitive, vous avez lancé une procédure de transfèrement. En quoi consiste t elle et a-t-elle des chances d’aboutir ?
EM :
 Une convention bilatérale franco-malgache prévoit que si un ressortissant français est incarcéré à Madagascar, les autorités françaises peuvent demander (comprendre “négocier”) à leurs homologues malgaches d’obtenir son transfèrement en France afin qu’il y purge sa peine.
Nous sommes actuellement dans l’attente d’un retour des autorités malgaches sur la demande de transfèrement que nous avons formée, avec des avocats français, dès que la condamnation de mon père a été définitive. 
On m’a néanmoins informée du fait que ce type de procédure peut mettre beaucoup de temps à aboutir, parfois à un tiers de la peine. Ce qui veut dire que mon père pourrait éventuellement être transféré dans 6-7 ans, ce qui est inacceptable, au regard notamment des conditions de détention qu’il subit.
Certains journalistes, peu informés, ont indiqué que mon père ne pouvait pas bénéficier de cette procédure en raison de sa bi-nationalité : ceci est totalement erroné et je vous confirme que les autorités françaises travaillent actuellement sur le transfèrement des trois français concernés dans ce dossier.

PA IDF : il faudrait en effet que le transfèrement soit décidé rapidement car je crois que les conditions de détention sont très difficiles ?
EM:
Concrètement, mon père est détenu dans une cave sans lumière. Il n’a pas accès à des toilettes et doit faire ses besoins dans un pot de chambre que je lui ai fait parvenir. J’ai également pu lui faire livrer une lampe solaire qu’il peut recharger avec le peu de temps qu’il passe en dehors de sa cellule. Temps que j’ai pu lui obtenir en payant un pot-de-vin à la prison.
La mise en place d’un approvisionnement alimentaire fiable fut un réel calvaire : le peu de famille que j’ai sur place n’avait aucun droit de visite, ce que je parvenais à faire délivrer à la prison était volé…Mon père a déjà passé 9 jours sans manger. 
Je paie par ailleurs, parmi de nombreuses autres choses, la personne qui s’occupe de nettoyer le pot de chambre de mon père et de faire cuire le riz que je lui fais apporter.
J’ai détaillé les conditions de détention de mon père sur le site suivant : Soutien à Paul Maillot Rafanoharana.

PA IDF : Financièrement, cela doit être compliqué pour vous, pour les familles
EM :
 j’ai mis en place une cagnotte : de nombreuses personnes ont fait preuve de générosité et je les en remercie. Cela n’a néanmoins permis de financer qu’une partie des honoraires des avocats
Je me suis donc endettée personnellement et la cagnotte continue d’être alimentée ponctuellement, pour m’aider à faire face à la situation qui est a priori partie pour durer.

PA IDF : Face à cette adversité – et c’est un euphémisme, comment est son moral ? 
EM :
 Mon père est admirable de combativité. Il se montre fort, optimiste, mais je sens que depuis quelques semaines, son moral n’est pas très bon même s’il cherche à me préserver. Cette chute de moral s’explique, à mon sens, par l’absence de perspective à court et moyen termes : la prochaine étant, dans 19 ans, à l’issue de sa peine, à moins qu’un accord politique soit trouvé d’ici-là.
Il s’accroche donc aux échéances de la vie personnelle de ses proches, pour tenir. Par exemple, j’ai accouché de mon premier enfant une semaine avant sa condamnation et j’attends actuellement mon deuxième enfant. Au travers des courriers que nous parvenons maintenant à échanger, nous en parlons beaucoup et cela permet de rythmer son quotidien.

PA IDF : Avez-vous envisagé une action commune avec la famille de Philippe François ?
EM  :
 Les avocats français de mon père ont saisi le groupe de détention arbitraire de l’ONU en y associant Philippe François, pour des raisons de solidarité assez évidentes. Il était convenu que nous ferions désormais des actions communes mais j’ai constaté que la famille de Philippe François avait finalement fait un autre choix, qui a parfois pû être très inélégant à l’égard de mon père (et irrespectueux du combat que je mène pour lui). C’est bien regrettable.

PA IDF : Par quel biais pensez-vous maintenant pouvoir agir ? Comment pourriez-vous sortir de cette impasse ?
EM :
 Plusieurs voies sont imaginables, en plus de celle du transfèrement : une grâce présidentielle, la chute du régime, que sais-je… Des élections présidentielles se tiendront à Madagascar en 2023, peut-être aurons-nous une fenêtre de tir à cette occasion.
On m’a indiqué, à plusieurs reprises, que Nicolas Sarkozy pourrait vraisemblablement faire bouger les choses. Je suis prête à le rencontrer, bien évidemment.

PA IDF : quel message souhaitez-vous transmettre à la communauté militaire ?
EM :
 Mon père m’a beaucoup parlé de ses années passées à St Cyr, souvent avec beaucoup d’émotion : la fraternité, la solidarité, l’entraide. Ce sont des valeurs qui l’ont guidé dans sa vie.
J’ai reçu de nombreuses marques de soutien de la part de ses anciens camarades de promotion mais je sens une certaine réticence de la part de certains, compte tenu du caractère sensible du dossier, et cela est parfois décevant. 
Cela est d’autant plus décevant que contrairement à la famille de Philippe François, qui bénéficie de moyens autrement plus importants que les miens, je suis seule à mener le combat et c’est éreintant.

PA IDF : Quel message souhaiteriez-vous donner au public ?
EM :
 Je continuerai le combat aussi longtemps qu’il le faudra. Mais j’ai cruellement besoin de soutien, quelle qu’en soit la forme… N’hésitez pas, par ailleurs, à m’adresser des lettres pour mon père, que je lui ferai parvenir : même un petit mot permet de soutenir son moral et il en a grandement besoin.
 
L’équipe PLACE d’ARMES IDF

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